Interview Presse

Humanitaire au Niger
Interview réalisée par Aurélie Taupin (Aventure du Bout du Monde) pour le magasine "Globetrotters"
Avril 2007

Après une année passée à parcourir le monde, Sophie Gouhot n’a pas pu se contenter de revenir à son métier d’origine, la gestion de projets. La dimension humaine lui manquait. Cinq ans plus tard, après une formation chez Médecins Sans Frontières, la voici qui part 6 mois au sud du Niger, administratrice d’une mission de prise en charge de la malnutrition chez les enfants.

Une mission. L’avion se pose, puis après ? À quoi ressemble une arrivée dans l’humanitaire ?
Par un beau flottement ! Malgré les entretiens de briefing à Paris avant le départ , les 15 premiers jours, de fait, on découvre une équipe, un poste, un programme, une problématique, une ambiance, une culture. On est plongé dans une effervescence professionnelle et personnelle. Cela ressemble à un plongeon dans la 4ème dimension et je me suis se dit « ques-ce que je fais là ? »!. La passation avec mon prédécesseur a été d’ailleurs capitale., d’autant plus qu’il s’agissait de ma première mission dans l’humanitaire. Alors, je me suis raccrochée à mes compétences et à mon expérience en entreprise qui m’ont beaucoup apporté – sur le plan méthodologique, en terme de rigueur, d’organisation, de gestion de projet et de ressources humaines. Administratrice d’une base conséquente, voire exceptionnelle, pour MSF (environ 700 employés nigériens), j’ai rapidement été amenée à suivre une logique du « au jour le jour », car bien que le mois soit rythmé par des impératifs, tout est perpétuellement bousculé par des imprévus qui s’enchaînent. Alors, oui, il y a des chantiers de fonds auquel on aimerait s’atteler pour optimiser les choses (revoir certaines procédures, installer un nouveau logiciel…) , mais il faut reconnaître que l’on est déjà vraiment happé par la gestion du fonctionnement de la mission..

La préparation reçue permet-elle de se projeter dans la réalité quotidienne du terrain ?
Les ONG ont l’obligation de former leurs volontaires première mission avant leur départ. Concrètement, pour un administrateur MSF, le stage dure 15 jours. Il comprend une formation théorique et pratique aux outils informatiques (logiciels et autres), une sensibilisation médicale et logistique (qu’est-ce que le choléra ou une méningite, un camp de réfugiés, les sources d’épidémies par exemple), des jeux de rôle et mises en situation souvent dérangeantes pour faire prendre conscience des réalités du pays, et enfin l’apprentissage d’un « état d’esprit MSF » (positionnement, consignes de sécurité). Un briefing sur la mission où l’on part est aussi organisé. On dispose ainsi d’un bagage cognitif élémentaire qui permet de ne pas se sentir trop « parachuté ». Pourtant, malgré cela, rien ne prépare à la réalité de ce que l’on va vivre sur place et à son intensité. Parce que c’est impossible. Parce que les expériences se vivent, mais ne se transmettent pas.

Quelles sont les difficultés les plus conséquentes ?
Cette mission - rappelons-le - a une spécificité : elle ne répond ni à une guerre, ni à un tremblement de terre ni à tout autre danger qui nous menacerait. Par conséquent, la difficulté est autre à mes yeux. C’est l’épuisement/le surmenage : ampleur des tâches à effectuer dans l’urgence et sollicitation perpétuelle, vie 24 heures sur 24 avec ses collègues, parlant ainsi du travail en permanence ; questions de fond et doutes qui vous assaillent, vous savez les « quelles sont les conséquences réelles de notre intervention », « est-ce qu’on est réellement efficaces ? »toutes ces questions que vous tournez et retournez 20 fois dans votre tête ; et puis, dans une moindre mesure la difficulté du décalage culturel, … sans parler de la désillusion et le découragement due à l’horreur humaine, la corruption, la vue de personnes dont les besoins fondamentaux ne sont pas couverts! Oui, mieux vaut ne pas partir en croyant qu’on va sauver le monde. Il convient de savoir rester critique et de ne pas s’impliquer excessivement affectivement, et d’essayer de prendre du recul . Pour un administrateur en particulier, peut-être, il s’agit de gérer un rôle entre l’humanitaire et l’employeur…

Quel est le profil d’un bénévole ?
Globalement, j’ai été étonnée par le professionnalisme des bénévoles. Il n’y a pas de « profil » type hormis une expérience professionnelle de 2 ans minimum. On trouve chez MSF des jeunes de 25 ans aux retraité de 75 ans avec des personnalités, des motivations, des parcours professionnels et personnels très variés : hormis les médicaux (assez classique ; infirmière/médecins), on va du mécanicien, comptable, artisan, ingénieur, gestionnaires de théâtre au chef d’entreprise. Et on trouve des personnes seules, en couple ou avec des enfants. Vivre ce méli-mélo au quotidien apporte une vraie richesse mais relève du défi ! Et curieusement, il n’y a aucune règle : ce n’est pas le profil apparemment le plus solide qui résiste le mieux au stress.

Et les relations entre vous ?
Il faut savoir gérer les conflits dans le cadre du travail et la vie en communauté avec ces mêmes personnes. La difficulté réside dans le fait que l’environnement émotionnel intense d’une mission et la fatigue amplifient parfois nos réactions.
MSF structure les équipes pour que ça fonctionne : un responsable terrain aidé par une équipe de coordination gère son terrain et veille sur son équipe. Un des médecins est désigné pour veiller également sur la santé physique et psychologique des expats.
Et puis la solidarité fonctionne comme partout en fonction des affinités. Selon la taille de la taille de la mission, des petits groupes plus ou moins soudés se forment. Certains veillent un peu sur les autres et alertent quand quelqu’un s’isole, pleure souvent, devient agressif sans même s’en rendre compte lui-même…

Comment est perçu MSF à l’extérieur de la base ?
Globalement, les gens sont en attente et on ne peut leur en vouloir : ils perçoivent que nous avons des moyens financiers et que MSF peut leur apporter de la nourriture, de l’aide pour les uns, un emploi pour les autres…A Maradi, nous sommes le premier employeur local même si ce n’est pas notre but !
Il faut se faire à l’idée que la plupart des salariés n’ont pas les mêmes motivations que vous : ils ont conscience d’un engagement humanitaire mais cherchent avant tout un travail pour vivre !
MSF veille à véhiculer une image respectueuse (pas de saoulerie au bar, de comportement choquants…) mais le décalage est tel qu’un rien peu constituer une provocation ou engendrer de l’envie : les 4X4, les maisons, les travaux entrepris, les vêtements, …

Le fait d’être une femme et d’avoir des responsabilités dans un pays musulman est-il bien accepté ?
À mon arrivée, j’ai rencontré l’équipe que j’allais « manager ». Des hommes, musulmans, africains. On pouvait se demander comment j’allais être acceptée et respectée. Je ne me suis pas formalisée, et il n’y a pas eu de malaise, car nous n’avons finalement pas été dans une relation homme/ femme. Déjà sans doute parce que pour eux j’étais Blanche avant d’être femme. J’ai acquis une crédibilité petit à petit par le travail et un comportement le plus respectueux et juste possible. Malgré des erreurs certainement, je dirai même que finalement les choses ont été plus faciles que dans une entreprise française !

Pensez-vous que ce soit un engagement à la portée de tous ?
Finalement, comme tout emploi, l’engagement humanitaire est à la portée de celui qui le veut vraiment et s’en donne les moyens.
Il ne faut pas se leurrer, les ONG, surtout une grosse machine comme MSF sont désormais des entreprises, voire des multinationales avec des objectifs de transparence, d’efficacité, de professionnalisation. Il est dans l’intérêt d’MSF de choisir des personnes qui, à priori, vont s’en sortir.
J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, la bonne volonté ne suffit plus pour accéder à des postes humanitaires et c’est sans doute tant mieux. Ce qui me semble à la fois primordial et très difficile est de ne pas idéaliser l’humanitaire, d’être lucide et de se poser les bonnes questions sur ses réelles motivations (est-ce un engagement idéologique, une évolution, une fuite,…) et illusions, ce qu’on va apporter et retirer d’une telle expérience. Les entretiens de recrutement permettent notamment ce questionnement.
Et si ça marche, encore une fois il ne faut pas croire qu’on va sauver le monde !

Après 6 mois passés à Maradi, avez-vous envie de considérer l’humanitaire comme une nouvelle carrière possible ?
De fait, j’ai découvert quelque chose qui m’a passionnée en terme de responsabilités, mais aussi humainement même si je reste critique sur certains aspects. Dans l’idéal, je souhaiterais donc trouver un équilibre qui me semble indispensable pour rester efficace dans l’humanitaire sans se perdre : bâtir ma vie ici, mais partir régulièrement sur le terrain. En gardant à l’esprit que le retour est dur pour soi et son entourage, toujours, et pour tous…

Retrouvez le carnet de bord de Sophie Gouhot sur
www.carnetderouteauniger.blogspot.com

1 commentaire:

Cluster Lead MD a dit…

Merci,
A une semaine de mon départ pour le Congo RDC comme logisticienne-administrateur chef de base, cela m'a fait un réel plaisir de lire tes récits.