EDITO
Episode 1 - Mars 2006
Bienvenue dans la 4ème dimension !
Au moment d’atterrir le 7 mars, j’ai le cœur serré, un gros doute au fond de l’estomac : qu’est-ce que c’est que ce truc ? On est sur le point d’atterrir et on ne voit littéralement rien…le pays est enveloppé dans un nuage géant de poussière sépia. Il m’est arrivé de savoir à l’instant même de l’atterrissage que j’allais aimer le pays sur lequel je posais le pied. Mais là…vraiment je m’interroge. L’air est-il seulement respirable ?
A la sortie de l’avion à l’aéroport de Niamey (la capitale), je retrouve Geneviève, médecin MSF qui débarque en mission comme moi. De nombreux 4X4 rutilants attendent des passagers à la sortie du terminal. Nous, personne ne nous attend…
Un doute s’installe : quelqu’un va-il venir nous chercher ? Doit-on suivre les taxi-men qui nous disent qu’on ne viendra évidemment pas nous chercher ? Et puis un vieux 4X4 MSF tout jaune arrive…c’est parti pour traverser les grandes avenues toutes droites et les petites rues de Niamey jusqu’à la maison MSF.
Bonne arrivée à Niamey
La maison MSF de Niamey, c’est le sas de décompression pour les uns qui transitent par là avant de quitter la mission (ils passent leur temps à dormir avant de rentrer dans leur pays…). C’est aussi le sas de compression pour ceux, qui comme moi, arrivent à la capitale avant d’aller sur le terrain. Pour l’instant, je suis là, au Niger, sans être encore dans le vif du sujet. Il reste une porte à franchir : rejoindre Maradi !
Première nuit sous moustiquaire, premier réveil. J’adore LE premier réveil au matin DU premier jour d’un long voyage. On ouvre les yeux et on se demande où on est. On se dit qu’on a rêvé. Mais la lumière qui perce à travers les persiennes, les bruits étouffés de la rue, même l’air lui même, sont différents…non, ce n’est pas un rêve. Un petit moment d’appréhension face à l’inconnu puis le sourire nait sur mon visage face à cette aventure dans laquelle je me suis lancée. Je regarde autour de moi. Geneviève est aussi sous une moustiquaire, on dirait une chrysalide. Les rayons de soleil semblent nous dire : « debout la dedans, une nouvelle vie est sur le point de commencer ».
Première rencontre avec l’ambiance MSF, les expats, les Nigériens, la rue, l’Afrique. Ma responsable Danielle est une femme Belge d’une cinquantaine d’années qui vit d'habitude en Australie avec son mari. Ils y élèvent des chèvres et produisent de l’huile d’olive. Elle m’accueille et commence à me parler du boulot. Elle a une super pêche et semble très franche. Je pense que je vais beaucoup apprendre d'elle. Mais ce que j’ai constamment en tête c’est : Maradi.
Plongeon dans l'Afrique
La dernière porte est franchie deux jours après (9 mars) : on part pour Maradi avec tout un tas de produits, de matériel et des colis venus de France pour l’équipe…je me demande encore comment on peut charger une telle montagne de trucs.
Maradi, c’est loin, dans la chaleur (10 heures), mais la route est bonne et même goudronnée ! On dépose quelques colis dans des hôpitaux complètement démunis. Premier constat : il n’y a rien ici pour soigner les gens, pas d’équipement, pas de médicament, pas d’hygiène. Seuls quelques lits en Skye cramoisis qui menacent de s’écrouler sous le poids des malades. Je plains cette femme qui vient de subir une césarienne. Elle attend patiemment que ça aille mieux. D’autres me sourient, me lancent des S.O.S de leur regard profond, me montrent leurs blessures. Je ne peux rien pour eux, je ne suis même pas médecin…
On traverse des paysages d’un autre temps : des villages africains en terre glaise au milieu d’une végétation aride, des troupeaux de chèvres et de chameaux, des réservoirs à grains qui ressemblent à de grosses poteries. Dans certains villages ça sent l’oignon à plein nez car ils en cultivent des tonnes !
Bonne arrivée à Maradi
On arrive enfin à destination…dans une ville effervescente et poussiéreuse...puis dans les bureaux MSF comme projetées dans une autre dimension. Tout le monde nous accueille dans les bureaux, nous salue par notre prénom. On est attendues. Le pire, dans un premier temps, est de retenir les prénoms des nigériens et expats et de ne pas dire trois fois « bonjour » à la même personne. On est vite frappée par l’effervescence qui règne. Tout le monde s’active, parle, et tout ça pourquoi ?
Le programme MSF
MSF est ici pour prendre en charge la malnutrition des enfants de moins de 5 ans : les soigner et distribuer de la nourriture. Il y a de centres d’hospitalisation dans des grandes tentes (en cours de construction en « dur ») et des équipes ambulatoires dans toute la région où on fait des consultations, on soigne et on suit les enfants…c’est assez complexe et j’ai pas encore tout compris. Globalement, MSf essaye de s'intégrer dans les centres de santé nigériens pour pouvoir un jour passer le relais et se retirer. Il y a 2000 enfants actuellement suivis dans le programme et 60 000 sur l'année.
Ibrahima mon prédécesseur ivoirien
Quand j’arrive dans le bureau de Maradi, Ibrahima me rappelle que je suis une femme mais que les hommes restent majoritaires dans le bureau. A la maison, les femmes peuvent être emmerdantes mais au boulot c’est leur territoire…
Il me semble un peu froid au premier abord mais j’ai bien l’intention de tout savoir de lui et du boulot. En quelques jours, j’assimile un max de choses. Ibrahima me semble être quelqu’un de brillant et de juste. Il part rejoindre femme et enfants bientôt en Côte d’Ivoire. Je ne sais pas ce que je vais devenir sans lui qui connaît tout ici !!!
Il va falloir gérer 450 personnes (on atteindra 700 personnes dans quelques mois), les budgets de plusieurs millions, les contrats de travail, les relations avec les propriétaires, institutions…
Pour ce qui est d’être emmerdante (c'est mon boulot), j’y vais petit à petit. Le bureau est un bureau de garçons qui ne ressemble à rien. Je commence par ouvrir les persiennes pour avoir la lumière du jour (tant pis pour la poussière qui entre) et faire changer le néon verdâtre qui déconne, déplacer bureaux et armoires…et si je mettais un cactus sur une petite table ?
Bienvenu sur un des programmes les plus « énorme » de MSF
Dès les présentations du premier jour terminées, on part voir le centre de nutrition à côté du bureau. Il est installé sur un terrain de foot. C’est comme un hôpital de campagne dans lequel les enfants sont hospitalisés. On découvre le centre et les enfants. Certains pèsent 3 kilos à 3 ans ! C’est assez troublant mais finalement supportable parce qu’on est là pour jouer un rôle et pas seulement être témoin de cette misère. Le centre est organisé par « phase » qui porte chacune un nom d’animal (tigre, éléphant, girafe etc…) du soin intensif jusqu’à la remise sur pied. Chaque enfant est hospitalisé avec un accompagnant : parfois la grand-mère car la mère doit continuer à s’occuper de ses autres enfants. Alors ça forme souvent de drôles de binômes composés d’un très jeune et d’une très vieille.
Comment en sommes nous arrivés là ?
Au marché, il y a foison de produits et de nourriture, de légumes, de viande…En réalité, le Niger ne manque pas de ressources. Ce n’est pas un pays en guerre ou soumis à des catastrophes naturelles... La région de Maradi constitue même le « grenier » du Niger, la région où les cultures sont les plus développées. Mais les Nigériens, notamment en brousse n’ont pas d’argent pour acheter les produits. Ils sont endettés et revendent une grande partie de leur récolte. Ils consomment essentiellement du mil lequel est mélangé avec de l’eau afin de constituer le plat national : la boule. Au fur et à mesure que l’année avance, la boule devient de plus en plus aqueuse. Cet aliment est trop pauvre pour répondre aux besoins nutritionnels des plus petits…
Les causes de cette situation sont diverses et complexes. On peut citer l’organisation sociale et économique comme principale cause. Les institutions internationales ne veulent pas intervenir et faire pression sur le gouvernement nigérien pour des raisons diplomatiques et pour préserver des intérêts économiques. Reconnaître des problèmes de malnutrition reviendrait pour le gouvernement nigérien à reconnaître un problème de gestion du pays. Voilà en résumé ce que j’ai compris de la situation.
La démarche
MSF intervient d’habitude de façon ponctuelle sur des urgences (catastrophe naturelle, guerre, …) avec une force de frappe conséquente. Au Niger, c’est un peu particulier car MSF est là depuis des années et mène une réflexion de fond sur la prise en charge de la malnutrition. L’objectif est de témoigner, sensibiliser et de passer le relais localement mais aussi d’étendre la stratégie à d’autres pays touchés par la malnutrition. La clé de réussite repose sur un produit phare : le Plumpy-Nut. Il s’agit d’une pâte d’arachide enrichie qui couvre les besoins nutritionnels des enfants conditionnée dans des petits sachets et consommée sans eau. Le Niger est un peu un pays test : si la prévention de la malnutrition est rendue possible par ce produit, il pourra être utilisé partout. La démarche d’MSF consiste à convaincre le gouvernement nigérien de demander l’aide internationale et aussi à faire baisser le prix du Plumpy-Nut. Photo : savons distribués aux mamans
La peur de l’urgence
C’est un peu flippant car en ce moment le programme est…calme et ça ronronne plutôt. Aucune insécurité et pas véritablement d’urgence. Mais chacun se prépare…au rush : bientôt, on sera dans la période de crise de l’année et les enfants afflueront... les statistiques prévues sont alarmantes.
On sait qu’on ne pourra pas faire face : il faudrait 200 camions et décharger 1 sac toutes les 3 secondes pour nourrir tout le monde…Moi qui ne sais pas à quoi ça peut ressembler, j’appréhende un peu. C’est comme l’accalmie avant la tempête et je pressens que tout ce qui est en place au niveau de la compta et de la gestion du personnel va exploser si on doit gérer plus de monde…
Une équipe de choc
Sanoussi, Amadou, Aliou et Abdoulaï 4 gaillards nigériens qui sont mes assistants au quotidien pour gérer les activités d’MSF. J’ai déjà mis bien deux jours à retenir leur prénoms. Je leur pose dix questions à la minute. Sur le papier je suis leur manager mais en réalité, ce sont eux qui disposent de la connaissance.
Ensemble on va gérer les 450 employés nigériens qui travaillent ici, les contrats, les payes mais aussi faire la comptabilité, gérer les budgets et les dépenses…
Ils ont l' air très sérieux surtout Sanoussi le comptable qui est très timide. Je ne comprends pas bien quand il parle (je le taquine en disant qu’il a la bouche pleine de dents !). Quand il sourit, c’est toute l’Afrique qui sourit dans son visage. Aliou est plus âgé et "émancipé". Il s’énerve contre les Nigériens qui sont un peu moins érudits et sa foi c’est le travail. Je connais moins Amadou et Abdoulaï pour l’instant.
La journée type
Les premiers jours, je suis réveillée à 5h30 par le chant de l’imam de la mosquée qui est juste derrière ma case ! Allah Akbar, Allah Akbar, Allah Akbar, Allah Akbar (Allah est grand).
Le premier jour j’ai même failli tomber du lit tellement c’était fort. Maintenant je ne l’entends pas systématiquement. Chacun se prépare et part au boulot ou sur les sites entre 6h30 et 8 heures jusqu’à 13h. Il y a tout le fonctionnement à gérer et des milliers de petits soucis en plus à régler. Ca n’arrête pas. Je suis interrompue tout le temps…
Après, on peut faire la sieste et reprendre jusqu’au soir. En réalité, il n’y a pas de vraies coupures puisqu’on vit et on travaille ensemble. On parle donc quasiment tout le temps du programme. Le dimanche, on arrête et on dort ! Photo : le bureau
Les délégués du personnel et le maraboutage
En tant qu’administratrice, je vois régulièrement les délégués du personnel élus par les salariés. Lors de la première réunion, il était question des salaires, des formations du personnel et de… maraboutage ! Un employé a été licencié pour avoir caché le vol de moustiquaires dans un stock mais en réalité ce n’est pas de sa faute puisqu’il a été marabouté... Une fois marabouté vous n’agissez, ni ne parlez plus librement !
J’ai ouvert des yeux comme des billes et me suis pincée pour ne pas rire ou même sourire. Surtout pas. Il faut sans cesse composer avec la culture traditionnelle africaine, c'est passionnant et surprenant.
Petites histoires entre employés
Je dois souvent faire face à des plaintes de superviseurs ou d’employés qui dénoncent leurs collègues pour retard, absence…Je convoque les deux personnes et confronte leurs témoignages. Quand les gens ne parlent pas français, je désespère et je cherche un interprète. Parfois ils s’engueulent et je tempère…ce sont des situations délicates et je dois rester impassible, sortir le règlement intérieur et trancher en disant « vous devez venir tous les jours au travail », « non vous ne pouvez pas envoyer votre frère à votre place quand vous vous absentez… »…
Le dilemne humanitaire - employeur
La clé de réussite c'est de connaitre le règlement intérieur par coeur et d'être le plus juste possible. J'ai bien compris que dans la plupart des discussions , il n'y a pas de place ni pour l'affectif, ni pour les exceptions.
C’est dur d’être à la fois employeur et aussi humanitaire : je ne peux quand même pas virer les gens comme dans une vulgaire entreprise privée ? Ou refuser de payer un salaire et mettre toute une famille en difficulté parce que l’employé a oublié un papier ? En même temps, la machine doit tourner et pour cela être efficace. Je ne suis pas là pour créer des emplois.
Un monde sans noms de famille
Ici pas de nom de familles ! Les noms sont des suites de prénoms : le sien, celui de son père et/ou mari…en bref, tout le monde s’appelle Mamadou Sani Mahamane, Abdou Mamane Sanoussi…à moins que cela ne soit Salissou Mamane Idi….mais qui peut aussi se faire appeler Salissou Idi Mahamane Sani…
Quand on se parle au téléphone, ça donne parfois des dialogues de sourds : « oui tu sais l’assistante nutritionnelle qui est en congé, faut la remplacer par Salissou Chapatou, hein , ha oui non Salissou Chapatou c’est pas la même, quoique oui, non je confonds avec Salissou, c’est quoi son vrai nom, mais t’es sûr que c’est pas Chapatou qui a remplacé Saloussi ?…OK, attends, j’arrive. »
Bref, pratique pour gérer les 450 personnes. Je me lance dans un énorme travail de création de mise à jour et classement des dossiers du personnel (avec des numéros !). Pour ça, on renforce l’équipe de 2 FEMMES ! La révolution au bureau !
Chaque employé devra disposer d’un dossier avec ses contrats de travail, ses actes de naissances, ses diplômes dans le cas des médicaux, une photocopie de sa carte d’identité s’il en a une.
Notables
Afin d’entretenir de bonnes relations avec le propriétaire qui nous loue les entrepôts, je dois aller le rencontrer. Ce gros monsieur tout de blanc vêtu me reçoit chez lui. Quand j’arrive, il est installé comme un pacha sur des coussins. Les mauvaises langues disent qu’il ne bouge pas de là toute journée.
Il me reçoit dans son bureau qui ressemble à un bureau de ministre africain et je passe littéralement un entretien avant que lui-même ne m’énumère son propre CV et surtout son carnet d’adresse d’industriels français…En attendant, ce milliardaire qui possède des quartiers entiers de Maradi est également endetté auprès de l’état et je dois l’informer qu’MSF doit se soumettre à une décision de justice et payer le loyer directement auprès de l’huissier…
Le banquier
Munie de ma lettre signée de la main du directeur de MSF m’autorisant à avoir accès au compte bancaire, me voilà devant la BOA (Banque of Africa) pour rencontrer le banquier. C’est très protocolaire. Je dois veiller à ce qu’on ait de l’argent à la banque (transfert depuis Niamey) et au coffre (notamment pour les payes). Je suis la seule à avoir le pouvoir bancaire avec ma responsable et la clé du coffre…va pas falloir que je sois tête en l’air. Les sommes sont colossales pour un programme de cette ampleur.
Jour férié à l'africaine
Hier après-midi soudainement, la radio annonce que l’après-midi est fériée car les tournois de lutte traditionnelle commencent ! Ca n’a l’air de rien comme ça mais comment faire l’inventaire de toutes les personnes qui ont travaillé cet après-midi pour calculer les salaires en fin de mois. Et puis comment gérer un absentéisme soudain dans les centres !
Le règlement intérieur MSF prévoit aussi des congés pour mariage, c’est 6 jours pour le premier puis 3 jours pour les mariages suivants (jusqu’à 4 pour un homme). Sur les actes de mariage, on peut même voir le montant de la dot (la somme payée par le mari pour « acheter » la femme).
Il fait trop chaud pour travailler
Au début, je maudis la poussière qui rend l’air sépia, créée perpétuellement un voile devant nos yeux et nous dessèche tout le corps, des narines aux orteils. Je me dis que dans 6 mois je ressemblerai à la viande séchée de chameau qu’on mange le soir à l’apéro ! En plus, le matériel informatique et médical souffre. On doit tout couvrir de tissu.
Mais finalement cette poussière, due à des vents dans le désert (Harmattan), a du bon : elle crée comme un bouclier qui protège du soleil et il fait moins chaud !
Quand elle disparaît, on passe de 25°C à 40°C.
Il fait même 45°C par moment mais l’air est tellement sec qu’on le supporte. Bientôt, je me demande ce que donnera la saison des pluies et son lot d’humidité…
Bonne arrivée
Dire bonjour prend du temps ici. En général, cela ne se résume pas à un seul « bonjour » mais à une suite de questions du type : « Et la famille ? », « Et le travail ? », « Et la chaleur ? » « Et la santé ? »…
Et on recommence quand on ne s’est pas vu depuis quelques heures. Cette pratique me rend bien service étant donné que je confonds complètement les personnes. Ce n’est pas gênant de saluer plusieurs fois la même personne. Ouf ! On dit aussi « Bonsoir » dès midi passé.
Quand on arrive quelque part ou qu’on va quelque part, on se souhaite aussi : « Bonne arrivée » ! C’est mignon. Au début je croyais que les gens me disaient ça parce que j’étais nouvelle dans le coin. Mais non, on se dit ça ici.
Les touaregs qui dansent la salsa
Un soir, on va faire la fête avec des amis touaregs. C’est assez épique pour arriver dans le sable jusqu’au lieu de rendez-vous mais une fois arrivés, nos amis touaregs nous chouchoutent : ils font cuire du pain directement dans le sable qu’on émiette ensuite avant de le mélanger à des légumes et de la viande. C’est comme un couscous sauf que la semoule est du pain. C’est un peu « clough » mais ça passe bien avec le thé fort et sucré préparé dans des minuscules théières sur le feu.
On met de la musique et les touaregs, timides au départ finissent par danser comme des fous avec nous en soulevant leurs robes. Leurs sourires et leurs yeux qui émergent de leurs chèches sont inoubliables.
On est là au milieu de la brousse, éclairés par la lune, en train de danser autour du feu sur Manu Tchao avec des touaregs, au-delà des frontières, des couleurs de peau, des cultures ! Une précieuse étincelle d’humanité qui permet de décompresser et d’oublier l’horreur des Hommes, des préjugés et du racisme. Ceci dit se cachent peut-être parmis eux des rebelles qui ont aussi tué des gens...Tout n'est jamais ni tout blanc ni tout noir.
Maradi et sa fabrique de tongues
Maradi est une ville agitée qui grouille de petits commerces, une véritable plaque tournante du business avec le Nigéria voisin. Il y a une fabrique de tongues, de nattes et d’huile. Mais quand on parle de fabrique, c’est parfois dans la rue que ça se passe : les gens sont installés et fabriquent les nattes sur le sable.
Pour l’instant je n’ai pas eu beaucoup le temps de me balader à Maradi et c’est assez épuisant de marcher dans la rue avec la chaleur et la poussière. J’ai juste vu le marché et acheté…des tongues justement !
La burka et le boubou
Les vêtements sont assez surprenants : grosso-modo les couleurs africaines éclatantes dansent sur les tissus. Mais dans une société Islamique, les femmes sont souvent aussi voilées. Dans certains cas, on voit les femmes en boubou avec un voile par dessus. Les vêtements s’adaptent à la vie : certaines burkas disposent d’une fermeture éclair dans le dos pour que la mère puisse porter son enfant.
Petits arrangements avec Allah
Mon équipe s’absente régulièrement pour prier (toutes les 2 heures). Mais Aliou, mon « caissier » est moins discipliné. Il m’explique que cela n’a pas d’importance et que ce ne sont pas les apparences qui comptent : Allah note tout et fait une moyenne. Si on a manqué des prières, on peut se rattraper en ayant bien travaillé par exemple...
La tanière
MSF loue des maisons à Maradi pour notre logement, nos bureaux. Je loge à maison 2 à Maradi.
Je commence par dormir dans une case en bois sur un sol de sable (comme au Club Med !) qu’MSF a construit dans le jardin d’une des maisons pour l’agrandir. Mais le lit (un lit du CRENI - notre hôpital) est vachement haut sur pattes et trop court. Maintenant, je partage une petite chambre avec Geneviève. On discute beaucoup de nos impressions, de l'équipe surtout pendant cette première période de flottement où on se demandait un peu ce qu'on faisait là.
On a du personnel à la maison et ça m’a mis mal à l’aise au départ. Le lavandier Mamane, le gardien Sani, le cuisinier touareg Abdou (photo) qui nous fait même de la glace à la banane-mangue-chocolat… Mais finalement vu le rythme de boulot que je découvre bientôt, je bénis Abdou et Mamane de nous chouchouter. Abdou nous dégote du chocolat dans une boutique libanaise et du fromage. Si on peut l'éviter, autant ne pas souffrir pour faire de l’humanitaire !
L’équipe « d’expats »
En dehors de mes assistants, je travaille avec des logisticiens, des responsables terrains et bien sûrs des médicaux. Il y a beaucoup de nigériens et c’est très agréable. Les autres sont des expats comme moi de France, d’Europe, d’Afrique…Ca représente une équipe d’une trentaine de personnes. Je vous en dirais plus quand je les connaîtrais mieux.
Certains expatriés ont l’air plus usés et desséchés que d’autres. Chacun a sa personnalité. Parfois ça fait des étincelles et il existe des tensions dont je ne comprends pas encore bien les raisons. Dès que je peux, je m’isole pour ne pas saturer. Je ne sais pas ce que ça peut donner après plusieurs mois. C’est un peu comme le loft en quelque sorte !!
Sur les traces de Geneviève
Quand j’en ai ras le bol, je monte sur le toit du bureau regarder les gens qui passent ou je pars dans le centre de nutrition voir Geneviève et je la suis dans ses consultations. Je vois les mamans et leurs enfants, les sourires, la détresse parfois mais dans tous les cas, ça me redonne du courage pour le boulot. Les mamans nigériennes font ce qu’elles peuvent avec ce qu’elles ont. Ca m'agace d'entendre certains des occidentaux dire que les mamans ne savent pas s'occuper de leurs enfants.
Ici, on s’accroche à la vie. Des petits bouts qu’on pense disparaître pendant la nuit sont encore là le lendemain. Les poids et taille, les niveaux d’anémie atteignent des sphères incroyables. Dans la tente « Tigre » où les enfants remontent la pente, on les voit jouer, marcher vers vous en titubant avec des larges sourires. C'est un pied de nez à ceux qui affament la population.
Photo : Vue du toit, enfant quasiment invisible.
Trafic de petites culottes
Mamane lave notre linge régulièrement…sauf les sous-vêtements…de femmes. Islam oblige, il ne doit pas toucher ce type de choses. On lave donc chacune nos culottes ou on les regroupe pour les faire laver dans une autre maison. Chaque semaine il y a donc une collecte de petites culottes ! Un jour Mamane est venu vers moi avec un sourire très embarrassé. Il s’approche et me tend entre ses mains deux culottes les plus cachées possibles. Et là, il était encore plus désemparé car je lui dis « Mamane, ça n’est pas à moi ».
Sur le chemin de l’école
Mon petit plaisir du matin, c’est d’aller au bureau ! En fait, j’aime le chemin qui va de la maison au bureau mais seulement au petit matin quand la lumière est douce : je marche dans le sable à la rencontre du berger avec son troupeau de chèvres, des enfants qui jouent au foot (les buts sont délimités avec deux tongues), de l’école coranique, des endormis sous un arbre, des femmes qui pilent le mil avec leur grand pilon en bois, des silhouettes de femmes et tissus qui volent au vent, des beaux sourires parfaitement émaillés ou édentés.
L’air et la lumière sont encore doux. J’ai l’impression de traverser une crèche ou une image biblique. Pas de panique, je n’ai pas encore été illuminée ! C’est juste une impression de sérénité, de douceur avant la dureté de la journée.
Collecteurs d’enfants
Comme à Madagascar, les enfants sont nombreux et viennent systématiquement vous voir dans la rue. Ils rient, vous parlent, vous prennent la main, un, puis deux, cinq, dix enfants vous suivent bientôt.
Il y a un autre programme MSF qui gère la vaccination contre la méningite qui sévit en ce moment. Tous les gens entre 5 et 30 ans doivent être vaccinés !
J’accompagne les équipes dans les écoles. Ils bossent comme des fous. Certains jours, jusqu’à 9000 personnes sont vaccinées ! Mais certains islamistes ont fait croire à la population qu’on venait les piquer pour les stériliser !
La fille qui administre ce programme d’urgence est celle avec qui j’ai passé mon 1er entretien chez MSF ! Que c’est drôle de se retrouver sur le terrain !
Un ordi sous la moustiquaire
Je vous écris depuis ma moustiquaire comme Geneviève (photo) : j’ai emmené le portable à la maison pour écrire tranquillement. C’est le seul endroit où je me retrouve, comme dans une bulle qui m’isole du monde !
Bon voilà pour ces premières nouvelles. J’avais envie de vous raconter toutes ces news et anecdotes…bravo pour ceux qui ont tout lu ! C’est très chouette de travailler avec les Nigériens qui sont accueillants comme tout. Mais je pense fort à vous, je suis là depuis 10 jours et ça me semble déjà une éternité !
Episode 2 - Avril 2006
Mon premier lundi est folklorique : j’arrive au bureau et je suis étonnée de voir quelques personnes qui patientent déjà à 7h30 devant ma porte, sur laquelle il est écrit en grosses lettres "ADMINISTRATION". 5 personnes puis 10, 20, 30 finissent par arriver !! Oups, j’ai du louper quelque chose… Ben oui, j’ai oublié qu’il faut payer les « journaliers » qui ont travaillé la semaine dernière sur les sites de vaccination (des personnes qu’on paye selon le nombre de jours travaillés) ! Je n’ai ni la liste de ces personnes, je ne sais pas combien on doit les payer, ni qui a déjà touché une avance mais il va falloir faire quelque chose… un grand moment de solitude.
Ceci dit, pas la peine de paniquer, les gens sont patients ici. On attend tranquillement, parfois 1 heure sans broncher, là où en France on aurait déjà fait un scandale ! Il faut soit même se calmer un peu… Quand on fait un arrêt sur image, on réalise qu’on est le seul à s’exciter dans tous les sens. En fait, il n’y a jamais véritablement d’urgence ici. Comme disent les africains : « tu as la montre, moi j’ai le temps ». Parfois, certains patientent tellement, qu’on les oublie ! Ils finissent par se manifester et on est confus « ce mec est resté là des heures sans rien dire, je l’avais complètement oublié ! ». Comme quoi, on est habitué aux râleurs qui se manifestent !
Un Vendredi à Maradi
Le programme des réjouissances
Ibrahima sur le départ
Mon prédécesseur est sur le départ…il se traîne comme un zombi. Peut-être est-il fatigué ? Malheureux de partir ou impatient de repartir dans son pays ? Déçu ? Malade…je n’arrive pas à percer le secret du grand Ibrahima depuis quelques jours.
Il se rend compte, comme chaque personne qui quitte la mission, que des mois ont été nécessaires pour mettre en place des procédures et que dès l'arrivée d'un nouveau chacun essaye d'en profiter pour les contourner… Dans certains cas, je le vois se dilater d'énervement ! Il sort du bureau et revient la tête mouillée après se l’être mise sous l’eau pour se calmer. Je lui dis « Ne t'inquiètes pas, je vais veiller à conserver les procédures que tu as mises en place. D’abord il faut que je comprenne comment ça marche ».
Ibrahima LE départ
A vrai dire, on s’est rien dit, juste serré dans les bras très émus. Je ne suis pas venu le saluer le lendemain matin à 6h quand il est parti parce que je pensais que je chouinerais.
D’ailleurs j’ai bien fait, tous le monde a chouiné, même lui. Va falloir assurer pour reprendre le job après quelqu’un de tellement apprécié.
Mais Romain m’a dit que j’allais assurer. Je ne me pose pas trop de questions et j’essaye d’être dans la continuité mais surtout pas de ressembler à Ibrahima.
Une grève ?!
Avant de partir, Ibrahima me dit « tu sais tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait une grève des salariés ! : un nouvel administrateur, des demandes d’augmentation de salaires, ils vont essayer… ». Ha non pitié, pas une grève…
Guillaume le logisticien a pitié de moi et m’aide à compter et faire des petit tas. Tout est dans la souplesse de l'index et l’inclinaison de la liasse. Faut avoir été gangster ! On aurait pu faire un poker géant ! Oh faut bien rigoler même si la cause est sérieuse.
Le lendemain, je vais sur le terrain apporter l’argent. Chaque salarié se présente avec un N° (pour contourner le problème des noms) et reçoit son enveloppe. Il compte devant vous et on vérifie que ça correspond à sa fiche de paye. Il émarge et à Tibiri on lui donne 2 stylos. Ca j’ai pas encore compris le coup des stylos.
Les nigériens parlent difficilement d’eux. On embauche 3 personnes : une femme, un homme et un jeune gars (photo). Ils m'ont marqués et resteront des vrais rayons de soleil à Safo.
Olga Oil
BBC News à Maradi
Promis je vous le mettrai en boîte la prochaine fois.
Et les deux jours ?
A dos de chameau
La femme cachée d’Amadou
Espèce d’africain
Hécatombe des blancs becs
C’est pas toujours folichon à la maison MSF : ça tousse, ça crache, ça vomi, ça se tortille…malade chacun son tour ! Pour l’instant je résiste…je me porte même plutôt bien ! Mais je devrais pas faire trop la maline. J’ai juste réussi à attraper froid !!! Si si par 45°C. Ma chambre est une sorte de placard à courant d’air c’est pour ça. J’ai l’impression de dormir dehors tous les soirs et j’entends les gardiens qui tapent le carton dehors avec leur petite radio qui chante. Je me réveille parfois entortillée comme un nem dans ma couverture en laine qui gratte.
Parfois, y en a un qui craque aussi à cause des enfants qui meurent, d’une dure journée, de trop de chaleur, de frustration, de poussière ou à cause de l’anti-palu qui rend déprimé aussi…mais ça dure pas. On fait la fête et ça repart. On se surveille les uns, les autres.
La cave aux fromages à Maradi
Episode 3 - Mai 2006
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Cloture comptable en folie
Qui dit fin de mois, dit paye du personnel, vous vous en souvenez j’en parle dans mon 2è carnet. Mais ça dit aussi clôture comptable… Moi j’ai jamais fait de compta de ma vie depuis la fac. Alors je me plonge la dedans comme on plonge dans une grande piscine sans être sûre de savoir encore nager… C’est là que tout commence… Pas besoin d’être très intelligent pour se rendre compte que la compta n’est pas très rigoureuse ce mois-ci : pas toujours de date, de signatures, des imputations un peu bizarres du style des sacs plastiques imputés comme « nourriture »… et puis pour couronner le tout un trou de caisse assez conséquent. Gloups…Il faut absolument retrouver la raison de ce trou de caisse. Bon, je passe mon dimanche et lundi de Pâques à éplucher ça, pièce par pièce. Une vraie enquête. Y a pas grand chose à faire ici le WE alors c’est pas gênant de faire la compta pendant un WE de Pâques. Mais je pense quand même à vous en train de vous baffrer de chocolat. Dès le début de semaine, réunion avec mes assistants pour une petite mise au point sur les procédures comptables. Je suis pas très très contente mais jusqu’ici je me dis qu’on va retomber sur nos pieds. Je commence à farfouiller dans tous les documents. Photo : paysage de Souloulou
L’histoire du caissier qui se barre avec la caisse…
Le desk à Paris n’est pas content du tout au départ. Et puis, ils s’adoucissent et l’équipe me soutient à fond : que faire face à un voleur, face à quelqu’un dont on avait confiance à 100%. Y a comme un malaise dans mon équipe pendant quelques jours. Paris me demande de licencier Sanoussi le comptable. Comment n'a t-il pas alerté sur des montants anormaux, sur un livre de caisse mal tenu, sur des approvisionnements trop importants. Comment avoir passé ses soirées avec son pote Aliou sans rien savoir ? On a une discussion sérieuse en tête à tête où on met tout à plat parce que c’est trop pesant. Je me dis que je n’ai pas droit à l’erreur mais je décide de lui faire confiance… Il s’est fait berné comme nous tous, a perdu un collègue et un ami… je lui reproche de ne pas m’avoir alerté sur le fait qu’il était débordé et qu’il ne parvenait plus à contrôler les comptes. Le soir, il part le visage défait en me disant qu’il ne peut plus travailler pour aujourd’hui. Je me demande même s’il reviendra le lendemain ! Manquerait plus que je perde mes deux assistants ! Etant donné que MSF ne collabore jamais avec la police, on ne porte pas plainte. De toute façon, on ne récupérera jamais l’argent. Je pense aux donateurs et aux enfants…Comme dit papa, les hommes sont parfois des loups. Lui c’était un vrai fennec ! Le lendemain matin, quand je me réveille, je reste quelques instants assise dans la brume du sommeil en me disant : « j’ai du rêver, faire un mauvais rêve…Ah non, c’est pas vrai Aliou s’est vraiment fait la malle ? ». Photo : paysage depuis la voiture
Pour survivre, faire semblant de savoir
On se marre bien dans l’équipe mais quand on va sur le terrain, on est sérieux. On est obligé de jouer des personnages « qui maîtrisent le sujet » pour ne pas se faire rouler. On est souvent complémentaires pour négocier : un logisticien (log) qui connaît les trucs un peu techniques, les histoires de matériaux, d’angles, de surfaces, et moi qui connaît les termes du contrats, les avances qu’on peut faire etc…
Guillaume 1 (il y en a 2) devient presque "inquiétant" en tant que négociateur. Manifestement il a lh'abitude de compter les billets et de négocier.
Je suis parfois bluffé par l’intelligence « brute » des gens ici. Souvent c’est du bon sens. Oubliés les grands discours, les raisonnements compliqués, place au pragmatisme et à l’intuition + des fois au maraboutage quand même.
Actuellement, on a un problème car 67 conteneurs vont arriver dans 6 semaines au moment de la crise et les entrepôts ne sont pas prêts : on doit les réhabiliter pour qu’ils soient étanches à la saison des pluies. Alors on cherche des entrepôts (on appelle ça des « stores ») qui pourraient faire l’affaire. En Photo Guillaume et Aimé les logisticiens.
Location d’une maison à GydamSori
Sur les sites, dans les villages, on loue des maisons pour le staff. Ca fait partie de mon boulot. Les maisons, c’est pas des palaces. Ce sont des maisons en terre avec un toit en tôle. La visite est vite faite et après il faut se mettre d’accord sur les conditions, le loyer, la durée du bail, les éventuels travaux. Un soir je vais à Gydam Sori pour rencontrer le propriétaire d’une maison. C’est super charmant en fin de journée avec le soleil orange. Le village est tout simple, seule la mosquée est rutilante. Et là c’est mémorable : on m’ invite à m’assoier sur une natte par terre sur le sable. Heureusement je suis avec Maï l’assistant logisticien nigérien de Tibiri qui traduit en Haoussa tout ce que je dis et qui a l’avantage d’être un homme, ce qui n’est pas négligeable ici. On lit les clauses du contrat une par une et a chacune d’entre elles, il y a un brouhaha et Maï rigole. Je me demande bien ce qu’il y a de drôle. Tout le village est là à regarder discrètement par dessus le mur haut de 1m50 qui nous entoure. Je ne vois que des visages d’hommes partout qui dépassent, des vieux, des jeunes. Je suis bien la seule femme au milieu de ces hommes en habits traditionnels. D’ailleurs, il y a certains à qui je n’adresse pas la parole, c’est Maï qui s’en charge. On se met d’accord, on signe le contrat. Puis, ils amènent une sorte de saladier rempli de liquide blanchâtre à boire. Au début je pense que c’est du lait de chèvre mais je reconnais ensuite la « boule », le plat traditionnel : dilution de mil dans de l’eau et du lait. Notre cuisinier nous en fait aussi mais il rajoute du sucre et même des dattes ! Donc, vu la tête du contenu et du contenant qui passe de lèvres en lèvres, je me dis que je vais mourir demain. L’espace d’une seconde, j’espère qu’on ne va pas me demander de participer à cette clôture de négociation parce que je suis une femme. Mais non, on m’a tendu le récipient prestement. J’ai du boire. Bon ben chui pas morte… De retour à la maison, Maï m’explique que les gens ont « halluciné » parce qu’ils n’avaient jamais signé de contrat de leur vie et à chaque fois qu’il énonçait une clause, ils s’exclamaient « wouha, ils sont malins les nassera, ho la la, ils sont malins!! ». C’est pour ça qu’ils rigolaient. Par exemple :
· « Quand on loue la maison, le propriétaire n’a plus le droit d’y venir à sa guise pour y ranger ses chèvres… » · « Wahou ils sont malins les nassaras ! »
· « Si vous voulez récupérer votre maison, vous devez prévenir MSF un mois à l’avance »
· « Han là là, ils sont trop malins les nassaras ! »
Photo : les paniers à grain de Souloulou, jardin de la maison du staff du site de Gabi
Pour construire de nouveaux stores ou pour toute décision dans les centres ambulatoires, on doit être très diplomate et notamment s’adresser au maire. En général, il y a une grande cour avec une petite casbah posée sur le sable dans laquelle s’entassent le maire et ses adjoints : un bureau en faux bois, un tableau du président avec un cadre en plastique, quelques objets protégés sous un plastique. C’est très kitch pour nous et très attachant. Parfois dans les bâtiments « officiels » des grandes tentures volent au vent pour cacher la misère des murs en terre, des gros fauteuils en moumoute épaisse vous engloutissent littéralement (et on s’en passerait étant donnée la chaleur !).
Quand l’administratrice devient logisticienne
Je dois constituer 5 équipes d’infirmiers et aides infirmiers pour partir dépister la malnutrition au nord à Dakoro, là où on fait par ailleurs de la vaccination contre la méningite. Ces équipes doivent être briefées par la logistique et la chef de mission ce matin et partir impérativement à 11h. Sauf qu’il n’y a personne d’autre que moi ce matin. Alors je réceptionne tout le matos, les kits de logistique (couvertures, moustiquaires, balances pour l’équipe) qui arrivent littéralement en vrac. Il manque une voiture et les chauffeurs ne savent pas où ils doivent aller ! Moi non plus d’ailleurs et s’ils comptent sur moi pour leur indiquer le chemin… Mais ça y est, à 11h, les 30 personnes sont dans les bonnes voitures , les bonnes équipes avec leur kit logistique, leur malle à pharmacie, leurs fiches,…et moi je suis épuisée. De toute façon, ici, rien n’est jamais vraiment fait comme on l’imaginait. Il ne faut vraiment pas espérer que les choses se passent comme on voudrait. Tout est imprévu. Photo : marché et berges du fleuve Niger.
La fin du monde
Vous en avez peut-être entendu parlé : il y a eu une éclipse totale du soleil début avril ici. Pendant un long moment la lune commence à cacher le soleil et le vent se lève. Et puis d’un coup, poff, comme on éteindrait la lumière depuis un interrupteur, il fait nuit. 5 minutes plus tard, la lumière revient aussi soudainement qu’elle est partie. Imaginez l’effet de cet événement magnifique et terrorisant sur une partie de la population locale. Pas un chat dans la rue, tout le monde aux abris, aucune maman avec son enfant dans les centres ambulatoires. Pour résumer, il ne reste dans la rue que des pelotes de poussières qui volent au vent et les imams qui prient pour faire revenir le soleil. Les équipes du bureau regardent le ciel avec des lunettes spéciales qu’on a reçu de France mais aussi avec des masques à souder ou au travers de bouteilles de coca. L’éclipse a des effets insoupçonnés à posteriori : depuis cet événement on mange moins bien à la maison MSF…notre cuisinier Abdou est traumatisé. Quand on rentre à la maison après l’éclipse, il pleure ! Il dit qu’il se doutait bien que si c’était grave on reviendrait rapidement à la maison, et que s’il était dans le désert, il aurait pu suivre un chameau, les chameaux savent toujours où aller dans ces cas là… Franchement, au début je crois qu’il blague, mais non. Le lendemain, il me demande si le soleil est malade et si ça va recommencer. A chaque fois qu’il revient de la mosquée, il est tout morose parce qu’on lui met dans la tête que c’est la fin du monde qui approche…qu’il faut faire des réserves d’eau,…alors nos lasagnes, il s’en fout.
Quelques petits portraits des blancs becs·
Nathalie s’occupe des statistiques. Elle a déprimé à cause du médoc anti-palu. Elle pleurait tout le temps, on la retrouvait assise toute seule dans sa case, dans le noir ! Maintenant, elle rigole tout le temps et nous fait beaucoup rire. Un jour, elle a eu un lézard qui lui tombe dessus. Elle crie dans tous les sens mais les nigériens lui disent que c’est bon présage : elle aura un enfant bientôt. Alors depuis, elle attend l’homme de sa vie !·
Antoine est le pharmacien. Il s’emporte parfois et le jour de mon arrivée, il crie dans le bureau qu’il ne reste pas un jour de plus ici parce que les médicaments sont gérés n’importe comment et qu’il ne veut pas cautionner ça…mais il est resté.
Suzanne est notre médecin référent américaine super dévouée à la cause des enfants. Elle bosse comme une dingue.
Bruno ressemble a crocodile Dundee avec les cheveux longs et ses tatouages. Il est le chef de chantier qui organise les constructions du CRENI (l’hôpital) et fait trimer les ouvriers. Comme il est tout le temps dehors, il revient chaque soir un peu plus bronzé et tanné que le matin. Il aime pas qu’on l’emmerde alors on l’emmerde pas. Par contre, il fait super bien la bouffe et on en profite le dimanche quand notre cuisto Abdou ne travaille pas.
Guillaume 1 c’est le log « bouffe » (logisticien qui s’occupe de la nourriture). Il a déjà vécu 3 ans au Niger et 1 an au Mali avec des touaregs car il est...orfèvre. Oui d’accord ça n’a rien à voir. Du haut de ses 24 ans, il gère quand même 3000 tonnes de bouffe, les stocks, les entrepôts, la douane, l’acheminement depuis Paris... Jamais vu quelqu’un de son âge d’aussi mature et débrouillard. Quand il a l’air complètement ailleurs c’est qu’il calcule dans sa tête le nombre de camions et de manoeuvres qu‘ils faudrait pour distribuer assez de sacs de nourriture. La pression…car le plus gros pic d’approvisionnement arrive bientôt et on nous a interdit les avions cette année (trop cher) : tout passe par camion avec 6 semaines de délais alors faut pas se planter.
Guillaume 2 le deuxième log s’énerve ou s’enthousiasme pour un rien. J’ai peur qu’il finisse par craquer ! Il parle tout le temps, un peu comme s’il réfléchissait à voix haute. Il est appelé Abdoul Aziz par les nigériens pour rigoler parce qu’il a la peau très blanche. Au début, il voulait tout le temps se fritter avec Guillaume 1 et il fallait gérer mais maintenant ça va il s’est détendu. Quand il veut taper Guillaume 1, on part marcher 2 heures à la chaleur et ça le calme.
Bon y a encore de quoi faire en terme de portrait…alors la suite la prochaine fois. On est une vingtaine. Et j’aurai aussi bien des portraits à faire des nigériens.
Photo : (Géraldine et Nathalie (infirmière) , Guillaume 1 (logisticien), Ayoola (superviseur), Juma (super logisticien), Femme et fille de Juma, Delphine (laborantine), Aurélie (responsable terrain), Guillame N°2 (logisticien), Suzanne (médecin référent), Alberto (médecin)
Nassera
Nassara c’est un peu comme Wazah à Madagascar, ça veut dire « l’étranger » et souvent on entend les gens vous appeler ou chuchoter « Nassera ». J’ai demandé au chauffeur s’il pouvait m’expliquer ce que cela voulait dire et il était très gêné. Il a pris tout un détour en parlant de communauté, de style vestimentaire. En fait, Nassera c’est aussi celui qui n’a pas de religion et dans un pays musulman c’est un peu péjoratif.
Massages mais pas des pieds
Je suis ravie d'avoir sous la main plein de cobayes pour les massages. C’est assez étrange mais le fait de masser m’a toujours calmé et calme aussi les autres. Alors dans un tel contexte, c’est tout bénéf !! Nos pieds sont un désastre. On a tous adopté la « tongue attitude » et avec la chaleur, la poussière, la crasse, on peut faire des photos pour le concours des pieds les plus « pouraves » : crevasses, saleté, corne, bobos en tout genres.
Je suis née
Pour mon anniversaire, on fait cuire une chèvre et on danse sur le toit de la maison jusqu’au petit jour. Le logisticien malgache, Aimé, a aménagé le toit avec des petites lampes en bois ravissantes. On m’offre une bague, un bracelet touareg et pleins de bisous. Il ne manque que vous ! On danse toute la nuit et on s’endort sur le toit en regardant les étoiles et en refaisant le monde. Le lendemain, on est réveillés par le soleil…on se promène dans les rues de Tibiri, un village où on a aussi un centre de nutrition. On joue aux collecteurs d’enfants : 5 puis 10, 20, 50 enfants nous suivent. Je m’accroupis pour les prendre en photo et d’un coup je bondis pour leur faire peur. Ca met une ambiance dingue. On rit et joue comme des fous. Ils adorent ça. A un moment je me dis que je vais être débordée, me retrouver par terre sous 40 gamins et ne plus rien contrôler. Mais ça donne des photos extras avec des visages franchement rigolards.
Le Pacific
Ici aussi, à Maradi, il y a des boîtes de nuit ! J’ai découvert le Pacific mardi dernier. C’est une boîte à ciel ouvert avec un vrai groupe qui s’appellent le « Carnaval Orchestra ». Ils jouent comme des gamelles mais qu’est-ce que c’est bien et quelle ambiance ! On a droit à de la musique nigérienne, du coupé-décalé, du reggae. Du Bob Marley tout à fait original : des sons, des accords, une justesse tout à fait personnels et des paroles très approximatives car ils ne parlent pas anglais ! Mais franchement leurs interprétations sont de vrais collectors ! Alors on danse devant les musicos. C’est tout public et tout le monde danse plus ou moins ensemble. On retrouve souvent des nigériens qui bossent pour MSF. A un moment on entame la fameuse chorégraphie où tout le monde tourne d’un quart de tour à certains moment. Impossible à suivre…ils accélèrent le rythme tous ensemble et je crois que quand on est blanc, on est toujours décalé. Je suis les pieds et il y a tout le temps quelqu’un qui me pousse pour tourner dans le bon sens au bon moment. Photo : la cuisson des brochettes
Musique !
Ce qui est chouette c’est qu’on est plusieurs à avoir des MP3. Rap, musique algérienne, ousbek, pakistanaise, classique, marocaine, grecque on a de tout. Le soir quand je rentre, j’ai besoin de ça. C’est ma drogue à moi. C’est aussi rigolo d’être dans des villages nigériens avec de la musique tibétaine ou du rap dans les oreilles. J’adore ces décalages. Et en ce moment, j’ai l’impression de vivre dans un gros décalage général. Pour se distraire, on installe parfois des matelas dans le jardin et on regarde un film sur l’ordinateur. Ca fait séance de ciné. Le dessin animé "Madagascar" est génial. Par contre, on n'aurait pas du regarder « Hôtel Rwanda » ni « Expérience » (l’histoire d’une expérience d’enfermement qui dégénère et où les gens s’entre-tuent). Ca détend pas vraiment…
Le cas Milton
Milton médecin québécois est de passage à Maradi. C’est une « tronche » chez MSF parce qu’il connaît très bien les problématiques de malnutrition et qu’il a une grande gueule ! Il faut vraiment le rencontrer et ça tombe bien parce qu’il est là pour 15 jours. Il a un franc parlé incroyable et s’inscrit vraiment dans l’action. Il est passionné, passionnant et s’emporte en disant « Tabernacle » ! Il aime la provoc et me fait beaucoup rire en disant qu’au lieu d’amener des trucs d’Europe, on devrait nourrir les enfants avec du Kossam, le yaourt à boire du Niger. Il me dit qu’il en a marre des gens qui, à chaque fois qu’on propose quelque chose disent « oui mais »… Je lui confie que je suis dans ma phase des « oui mais » (par exemple : « oui mais si on distribue du Kossam, ça va entrainer telle conséquence négative…»). Il me répond que c’est bien de se poser des questions mais que ça ne doit pas empêcher d’agir au final.
Il y a eu aussi plein de quiproquos parce que quand on parle de Milton, ça se prononce « Mille Tonne » et comme on attend aussi 1000 T de nourriture, ça donnait des dialogues très curieux…
Notre lavandier
Un jour je le retrouve couché sur le carrelage du salon, les bras en croix, avec ses bottes en caoutchouc aux pieds (par 45°C à l’ombre, c’est pas courant). Je passe à côté et lui dit « bonjour » comme si de rien n’était. Il me dit « bonjour » avec un grand sourire… Ce matin je me rends derrière la maison pour chercher du linge et je le trouve à genoux la tête dans un seau d’eau, toujours avec ses bottes en caoutchouc. Je fais demi-tour sur la pointe des pieds pour le laisser seul avec lui-même…Peut-être qu’il effectue des rites pour se purifier car il est choqué par des trucs qu'on fait? Déjà qu’il veut pas laver nos culottes…
Le téléphone de course
Vous verriez le téléphone qu’on m’a livré. Un truc vraiment mémorable : il est E-NOR-ME avec une sorte d’écran doré qui indique l’heure, des touches chromées et il se met à clignoter orange et violet de partout quand il sonne ! La grande classe. Malheureusement c’est un téléphone de remplacement. Peut-être bien qu’on va me le reprendre…bon oui on se réjouit de petites choses matérielles clinquantes parfois.
Et la santé ?
J’ai enfin cessé d’avoir des croûtes et du sang dans le nez. Désolée pour les détails. Je crois que mon corps s’est habitué à la sécheresse…enfin presque. Je dors bien, j’ai pas mal au ventre, à la gorge, ni nulle part. C’est assez enviable je dois dire. Je supporte bien le Lariam pour le palu mais je pourrais bien avoir des effets plus tard, même au bout de 2 mois.
Bon voilà, je vais essayer de vous parler un peu plus du programme et des enfants la prochaine fois mais je sais pas trop ce que j’ai le droit de dire ou pas.